Des gestes et des rêves 


"Des gestes et des rêves" est une série photographique qui propose une autre vision de l'école.

Elle met en lumière le parcours de jeunes en apprentissage, se sentant parfois en décalage avec le système scolaire traditionnel. 


Durant la Résidence de Création de la Maison de la Photographie des Landes, Cloé Harent  vient questionner la relation entre un maître et son apprenti.


"Où se situe la ligne de distance dans une relation d’apprentissage ? En partant en reportage au départ, je me suis retrouvée confrontée à cette question. L'absence de repères visuels marquant une proximité dans cette relation maître/apprenti, me déstabilise. Je me trouve face à une distance, physique ou relationnelle qui me rend l'inspiration difficile. Or, mon rôle consiste principalement à établir du lien.

Est-ce que cette distance observée est normale ? Est-elle le simple résultat d’une rencontre de personnalités timides, peu démonstratives, ou bien est-elle propre au cadre professionnel ? C’est peut être une distance nécessaire à l’apprentissage, pour maintenir une forme de respect ? Dans le contexte de l’entreprise, que devient le maître s’il abandonne cette position d’autorité, indispensable à l’enseignement ? Une marque de familiarité risquerait-elle d’affaiblir l’exigence et la rigueur requises ?

Quand le lien se resserre, l’apprentissage en est-il affecté ou plus agréable ? La distance, en créant une pression implicite, ne pousse-t-elle pas l’apprenti à se surpasser pour répondre aux attentes du maître ?

L’objectif de l’apprentissage reste de développer progressivement une autonomie, soutenue par une pédagogie adaptée. Et qui dit autonomie, dit nécessairement distance. Ces jeunes sont souvent à un moment clé de leur vie, en pleine découverte du monde professionnel, se questionnant parfois sur leur vocation. Beaucoup d’entre eux savent et me disent que leur choix est le bon et en sont fiers.

À cet âge charnière entre adolescence et jeune adulte, l’apprentissage est aussi une période d’émancipation, d’expériences, de doutes. Ce choix audacieux, parfois mal perçu, de l’apprentissage par la pratique en entreprise leur permet une confrontation concrète avec leur futur, bien différente des filières plus théoriques.

Quel impact cet apprentissage a-t-il sur eux ? Les rend-il plus matures, moins naïfs, plus conscients des réalités de la vie professionnelle ? Ou, au contraire, leur donne-t-il plus de confiance et d’ambition ? Comment façonnent-ils leur vision de l’avenir quand, à 15 ans, ils ont déjà un pied dans ce qu’on appelle souvent « la vraie vie » – avec des responsabilités et des attentes concrètes, bien au-delà des notes et diplômes qui mesurent uniquement des connaissances auxquels ils ont souvent des difficultés ? L’apprenti devient plus attentif et investi dans son métier, une manière pour certains de fuir un système éducatif qui ne leur convient pas.

J’ai eu le sentiment de voir une jeunesse, sûre d’elle, fière d'elle-même. Qu’ils aient trouvé un point d'ancrage dans leur propre péripétie. L’entreprise les cadre et les rassure, ils se sentent compris car l’expression de leur savoir-faire est ici valorisée.

Pour explorer ces questions, j’interroge alors Ambre, Cléa, Émeric, Jean-Éric, Soan, Cléa, Maxime, Yanis, Simon, Casiopé, Zoé, Élise, Guillem… Comment vivent-ils leur apprentissage ? Sont-ils heureux dans cette voie éducative ? Ont-ils confiance en leur avenir ? Leur choix a-t-il renforcé une intuition, ou au contraire, les a-t-il déstabilisés ? En somme, l’apprentissage est-il devenu pour eux un espoir ?

Du côté du maître, accueillir un apprenti est aussi un engagement fort, un choix réfléchi. Décider de transmettre son savoir à un jeune sans expérience demande du temps, de la patience, et une réelle volonté de partager sa vision du métier et de la qualité du travail. Le maître n'est pas seulement un formateur : il devient, pour l’apprenti, un modèle et une référence. En formant un apprenti, le maître perpétue non seulement son expertise, mais aussi les valeurs et les standards qui font la spécificité de son métier.

Ce choix d’accueillir un apprenti va bien au-delà de l’encadrement technique ; il s’agit aussi de transmettre une manière de voir le travail, de comprendre le rôle de chacun dans la chaîne de production, et de cultiver le respect du savoir-faire. C’est une démarche gratifiante mais exigeante : elle nécessite un équilibre entre autorité et bienveillance, une distance qui préserve le respect mutuel, tout en construisant un lien de confiance. Pour beaucoup de maîtres, former un jeune représente aussi un moyen de donner un sens supplémentaire à leur propre carrière, de transmettre un héritage professionnel et humain qui perdurera au-delà de leur propre parcours.

En retour, cette relation les pousse à réfléchir sur leur propre pratique, à se renouveler, et à se montrer exemplaires. Pour certains, l’apprentissage est une manière de contribuer à la pérennité de leur profession, en formant une relève compétente, passionnée et prête à relever les défis de demain." 


Cloé Harent


Des gestes et des rêves

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